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24.11.12 – 6.01.13

heart of darkness

Avec: Miriam Austin, Vincent Ceraudo, Lorraine Châteaux, Aurélien Cornut-Gentille, Amandine Lourmière, Zoé Paul, Elizabeth Porter, Ilona Sagar

Commissariat : Richard Wentworth, Julien Bouillon

Cette exposition est issue d’un échange entre huit artistes récemment diplômés du Royal College of Art (Londres) et de l’École nationale supérieure d’art de la Villa Arson qui s’est déroulé durant l’été 2012. Les artistes, en résidence de production à la Villa Arson pendant le mois de novembre, ont réalisé les propositions pour l’exposition à partir du roman Heart of Darkness (Au cœur des ténèbres) publié en 1899, par l’auteur britannique Joseph Conrad. Ils se sont notamment focalisés sur les relations entre le paysage, le mythe et l’histoire, le voyage physique et la dérive psychologique.

Kurtz, le personnage principal du roman de Conrad, en constitue aussi bien le point de fuite, un au-delà géographique, psychique et mythique vers lequel nous faisons route avec le narrateur : c’est dire que Kurtz n’existe pas vraiment en tant que personnage ; il est plutôt un trou ou une trouée par où l’on aperçoit « l’horreur » ultime. De même le roman ne raconte-t-il pas d’histoire positive, mais seulement les conditions et circonstances obscurcissantes qui lui permettent de valoir pour un mythe, par-delà les détails romanesques d’où il tire pourtant sa consistance. Le mythe de premier degré (ce pourrait être l’aventure de Kurtz, ses forfaits, ses horribles exploits) a entre-temps disparu, il est devenu indicible, impossible à soutenir comme tel. Il reste un mythe de second degré, chargé de raconter comment le mythe de premier degré a disparu, si bien que les ténèbres se dédoublent, elles sont à la fois l’impossibilité de la narration première et le sujet de la narration seconde, qui va sur les traces de la première.

Grâce à cette structure en abyme, le roman devient super-symbolique : on peut remonter le cours des âges en remontant le cours de son fleuve, mais on peut aussi songer au « continent noir » de la sexualité féminine, à l’homme darwinien, qui « descend » du singe, à la sauvagerie, « source » de toute civilisation, au mal qui se trouverait « par-delà le bien », à « la nuit » de l’irrationalité, etc.
La métaphore se fait ici plus puissante que ce qu’elle métaphorise, elle s’identifie presque à la forme générale de toute métaphore, telle qu’elle s’élève sur la ruine des mythes. Et c’est bien pourquoi elle peut servir de fil pour une exposition d’artistes au moment où le prestige des grands récits modernes a faibli. Soit elle représentera le premier degré de leur estompement, soit elle renverra au contraire à l’histoire toujours bien vivante du capitalisme et de l’impérialisme occidental, qui serait le sujet du roman si son appareil de fascination ou d’abyme ne venait à y interposer ses moirures ; – à moins que l’on ne se serve de cette ténébreuse anabase comme d’une leçon artistique.
Conrad résumait ainsi le principe de son esthétique : « Avant tout, éteindre le courant critique de cogitation, travailler dans le noir – le noir créateur que ne hantera nul spectre de responsabilité». Ce pourrait être un bon conseil, un conseil en tout cas de portée si générale et d’application si mal déterminée qu’on ne sait pas comment le suivre ou qu’on le suit sans le connaître. Mais n’est-ce pas l’étoffe même dont tous les bons conseils sont faits ?

Exposition organisée avec le soutien du British Council, de l’Institut Français et de la Commission européenne – Education et culture et le concours de l’Institut Métapsychique International (IMI).

Remerciements chaleureux à Veronique Follet et à Sophie Demay pour l’énergie qu’elles ont déployée à faire exister ce projet.