26.02.93 – 21.03.93
Vassili Balatsos
Vassili Balatsos
Commissariat : Christian Bernard
Diplômé de l’Epiar en 1990, Vassili Balatsos présente dans la Galerie de l’École deux aspects de son travail actuel : une série de peintures à l’huile sur métal intitulées Litebulb overkill et Independent landscape, un dessin mural exécuté au ruban adhésif.
Litebulb overkill1, Litebulb overkill2, Litebulb overkill3 et ainsi de suite. Un même titre aux immanquables successions numériques, formant une suite logique, au revers de chaque peinture de Vassili Balatsos. De l’américain litebulb, flash et overkill, saturé, surpuissant. Ou la représentation meurtrière d’une lampe de poste de radio sous ses deux variantes : le modèle européen et le modèle américain. L’image fortuite d’un objet technologiquement obsolète que l’artiste n’a jamais tenu entre ses mains, représentation de la représentation du logo de lampe figurant sur la boîte d’origine de cet objet apparemment quelconque. Logo des années cinquante avec lequel le peintre dit n’entretenir qu’un simple rapport de plaisir formel et dont les lignes rondes et les coloris, à la fois attirants et datés dans l’histoire du design, engendrent cette séduisante peinture à l’huile sur métal, d’aspect émaillé, à mi-chemin entre l’enseigne publicitaire et l’icône religieuse.
On pense évidemment à Andy Warhol devant ces versions géantes d’ampoules allumées qui déclinent chacune la couleur selon une succession de contrastes fort appuyés. Car ici c’est bien la couleur qui détermine la forme et non pas le dessin. Mais contrairement à ce qui pouvait advenir dans les travaux des artistes pop, Vassili Balatsos refuse toute intervention mécanique dans sa peinture : la machine à peindre, c’est lui. Et l’insistance qu’il porte à la pratique le conduit à refuser l’emploi du ruban adhésif et autres artifices pour tracer les lignes droites. Vivre la forme comme vérité, non seulement en la multipliant, mais en la reformulant lors de chaque élaboration. De ce point de vue, le travail de Balatsos, en remettant en question la démarche analytique de la peinture, affirme, à l’instar de Stella, la simplicité de l’image proposée : la figure de la lampe ne serait uniquement là que par et pour ses qualités formelles. La répétition de l’image d’un objet qui ne signifie plus rien dans le quotidien vient alors renforcer cette volonté de présenter une forme élémentaire évidée de tout sens. Toute de verre et de métal, la lampe est par excellence un objet résistant à la peinture – comment la peindre ? – et, en cela, elle constitue un excellent sujet à traiter. Une bonne occasion pour la peinture. Il y a dans le travail de Vassili Balatsos une véritable réflexion sur le statut de la figuration et sur celui de l’abstraction aujourd’hui. Partant du présupposé que depuis Malévitch un carré fait désormais figure, la question posée dans ces œuvres est : qu’est-ce qu’une vraie réalité abstraite ? À cet égard, l’image publicitaire de la lampe s’avère être un modèle parfait puisqu’elle confronte un objet réel à des lignes horizontales décoratives mais abstraites.
Réitérée un certain nombre de fois, avec un chromatisme toujours actif à un niveau purement optique, jouant avec l’éblouissement, l’image offre ainsi une présence plastique si forte qu’elle a sur le regard un impact quasi hypnotique. Voilà ce que l’on serait tenté de désigner comme une icône laïque, non pas parce qu’il y a profanation – par absence de sens – du contenu religieux, mais car l’image, émancipée de toute signification patente, comme de beaucoup de ses connotations latentes, apparaît librement dans toute sa puissance plastique. Mais au fait, le choix de cet objet qu’est la lampe est-il vraiment anodin ? Sans doute pas. Avant tout, la démarche de reproduire une reproduction n’est absolument pas étrangère au fait que l’artiste soit grec : c’est le principe même de l’icône byzantine. Ensuite, la figure de la lampe, lorsqu’on l’observe attentivement, nous apparaît comme une véritable présence anthropomorphe et cet aspect est particulièrement visible dans les dessins de l’artiste. Par ailleurs, d’un point de vue sémantique, la lampe, ici traitée – et c’est frappant – avec le hiératisme et la frontalité qui conviennent à une icône, est aussi ce par quoi le visible peut advenir. Le mot est lancé : Vassili Balatsos, peintre d’icônes contemporaines. Ou plus exactement révélateur d’un double héritage culturel : celui, très ancien des icônes byzantines, par lequel l’on a tendance à stéréotyper la culture grecque, et celui, plus récent des années cinquante et peut-être d’ordre purement existentiel, appartenant à la génération précédent celle du peintre. La peinture comme affirmation de l’identité.
À ces œuvres peintes, Balatsos confronte des travaux de nature différente, des dessins muraux obtenus par le seul biais du ruban adhésif. Si la technique diffère, le processus est similaire puisque ces dessins reproduisent à leur tour l’image d’un bâtiment à l’architecture rationaliste prélevée à l’intérieur d’un paquet de cigarettes grecques. (Une fois de plus c’est la boîte, espace circonscrit, comme le tableau lieu de production d’une image, qui est en cause). Toujours rattachée à une esthétique des années cinquante, l’image est cette fois plus familière à l’artiste puisqu’elle restitue, entre autres, un édifice devant lequel il avait coutume de passer chaque matin lorsqu’il habitait en Grèce. Si l’affect n’est pas directement impliqué dans ce fragment de mémoire personnelle, il n’en reste pas moins que l’appropriation de l’image est symptomatique – voire métaphoriquement révélatrice – de la façon d’œuvrer de l’artiste. Passer devant un bâtiment comme l’on passe devant une image sans essayer d’en percer les secrets, voilà peut-être la seule façon d’obtenir ce décalage nécessaire, qui semble préoccuper certains artistes aujourd’hui, entre l’artefact et ce que l’on est en droit d’attendre de lui. Independent landscape propose l’image sensiblement agrandie de deux usines – celles où l’on fabrique les cigarettes en question – dont la projection sur le mur ouvre littéralement un espace virtuel qui, de par sa force évocatrice, se pose comme lieu de tous les possibles. Le rendu des représentations que Balatsos effectue des édifices dénote une fidélité étonnante aux images d’origine car, non seulement, il respecte les subtilités graphiques du dessin en noir et blanc, mais surtout parce qu’il fait du support, le papier, l’ossature même du dessin grâce à l’emploi du ruban adhésif. Lorsque le support s’érige en matière. Ici prend forme, selon un geste que l’on peut qualifier de picturalement radical, l’image épurée d’une architecture qui, par sa puissance plastique et sa force d’autonomie, se constitue comme le pendant complémentaire du front de peinture qui lui fait face : d’un côté, la sensualité de couleur et la durabilité de la peinture, de l’autre, l’élémentarité de la monochromie et la dimension éphémère de la peinture murale.
Catherine Macchi