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10.04.93 – 30.05.93

Ulrich Meister

Ulrich Meister

Commissariat : Christian Bernard, Axel Huber

Remarqué lors de la dernière Documenta, Ulrich Meister, dont la Villa Arson avait déjà présenté une œuvre sous la forme d’une carte de vœux, expose pour la première fois dans une institution française. Vers 1985, après sa formation en peinture, de 1968 à 1973, à l’Académie de Düsseldorf et une brève incursion dans l’abstraction lyrique, Meister se met à produire des textes poétiques qu’il propose comme des peintures écrites. Dans la Galerie de la Villa, l’artiste suisse présente une série de pièces inédites qui procèdent invariablement selon le même principe : un objet appartenant à l’univers ménager ou plus largement quotidien (panier, pelle, parapluie, etc.) est placé en regard d’un texte. Si ce processus, formellement parlant, évoque de façon immédiate le travail de Kosuth, ce n’est que pour mieux s’en détacher. En réalité, la proposition artistique de Meister se situe aux antipodes de l’art conceptuel si l’on considère que les poèmes qui accompagnent les objets montrés ne relèvent pas plus de la tautologie que de la métaphore. II s’agirait plutôt de textes qui, sans qu’il y paraisse, illustrent l’objet auquel ils sont juxtaposés.

Les objets dont Ulrich Meister se sert dans son travail peuvent aussi bien être des objets achetés que des objets de son entourage immédiat mais qui n’auraient pratiquement pas servi ou du moins dont l’on aurait eu grand soin. Ce sont ces indispensables objets du quotidien, ceux que nous manipulons pour nous alimenter, ceux qui nous secondent dans les tâches ménagères, ceux qui servent à nos loisirs, ceux avec lesquels on passe le plus clair de son temps et que l’on finit par ne plus voir parce qu’au fond ils nous ramènent à notre condition périssable, à tout ce qui fait la précarité de notre existence.

Généralement présenté isolément et dans un rapport de frontalité, l’objet systématiquement neuf, vierge des marques du temps et de l’usage, comme aseptisé, est soigneusement posé à côté ou juste en dessous du texte dactylographié.

Décontextualisé, il perd aussitôt ses caractéristiques de modalité du réel pour devenir une nature morte épurée. II y a dans cet inventaire idéal des choses une injection du poétique dans le réel et cette poétisation du réel est à son tour renforcée par la qualité allusive des textes qui procèdent eux aussi d’une grande économie de moyens et d’expression et qui ne sont pas sans évoquer l’expérience du satori et la pratique du haikai propres à la pensée et la culture extrême-orientale. Considéré par l’artiste avec sérieux ou avec une pointe d’humour, l’objet tangible se fait alors moins réel que celui dont il est question dans le texte et par un subtil renversement de situation sa virtualité devient effective. L’image est alors du côté du texte et non plus de la chose.

L’institution de ce ready made, de par le prosaisme de ses textes, n’est finalement pas très éloignée du travail poétique de Francis Ponge et des poètes matérialistes français, voire des poètes objectivistes américains, à cela près que dans les pièces de Meister le référent est présent, comme persistant. Se crée alors tout un tissu de relations entre le regard de l’artiste et celui du public. Ce que la perception de l’objet usuel a pu déclencher comme sensations chez l’artiste, le regardeur le revit à son tour au travers de sa subjectivité et donc avec un décalage infime ou sensible selon son vécu. Ce flottement auquel Meister laisse libre cours révèle la volonté de ne pas se fixer à un seul point et confère à ce travail une grande qualité d’humilité.

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