12.10.90 – 11.11.90
Platino
Space 2
Commissariat : Christian Bernard
Extraits d’une conversation entre Platino et Emmanuel Latreille, FRAC Auvergne
E. L.: Comment sont venus les premiers grands tirages entièrement rouges ?
P.: Au départ, les photographies ne devaient être pour moi que des documents relatifs à la peinture de l’espace dans lequel je vivais et travaillais alors: «Red Space 1». Mais cela a dérapé et les photographies sont devenues «autonomes ». Aujourd’hui, la base essentielle de mon travail est d’intervenir dans le lieu où je vis. Je peins certains plans de murs ainsi que des bordures : cela doit être très précis. La base du travail est sculpturale. Mais en fait, je ne me soucie pas de ce que l’on appelle normalement les « dimensions». Dans une œuvre d’art, le contenu est important et si c’est une œuvre d’art, elle n’a pas de dimension. Dans l’expérience immédiate, il n’y a pas de dimensions.
E. L.: Cela a-t-il quelque chose à voir avec l’idée de décoratif ?
P.: Oui, ce mot a un sens pour moi, celui qu’il a chez Matisse. Matisse est un de mes artistes favoris. Dans les papiers découpés qui couvraient les murs de sa chambre à Nice, Matisse montre qu’il ne se souciait pas de dimensions. Ce à quoi Matisse œuvrait c’est à une cohérence de la réalité (ou des différents plans de la réalité) qui ne peut être jamais obtenue par d’autres ordres intellectuels ou dimensionnels, mais seulement par les énergies vitales de la réalité (ou des réalités). Si les choses sont sans dimensions, il faut, pour qu’elles correspondent, qu’elles soient dans une relation énergétique avec l’espace dans lequel elles sont. De cette façon, on aboutit à une très forte cohérence. Et bien entendu, c’est aussi un espace dans lequel vivait Matisse. Si on entend le mot « décoratif» dans son sens habituel qui décrit généralement ce qui est opposé à «obscène», alors il ne s’applique pas bien à ce que je veux faire. Ce que je veux faire devrait plutôt être appelé : «off scene». J’espère que ce que je créé, en m’appuyant réellement sur la perception, est doué d’une sorte d’«unité naturelle», d’organisme vital. C’est-à-dire qu’il y a une fluctuation entre les parties en lesquelles consiste le travail. Il y a une analogie entre la relation qu’ont les différents éléments peints (ou sculptés ou posés ou ce que vous voudrez) au Red Space et la relation qu’entretiennent les photographies avec le lieu dans lequel elles seront installées.
E. L.: Cela explique la manière très spécifique selon laquelle vous installez vos photographies dans l’espace d’exposition.
P.: Par exemple à Nice, j’ai d’abord regardé l’espace. J’ai décidé de ne pas l’investir tout entier. Je me suis efforcé de repérer les espaces qui avaient une unité en eux-mêmes. En posant directement la pièce sur le sol, je veux signifier sa connexion directe avec l’espace, de la même manière qu’un corps est sur le sol. L’œuvre n’est pas isolée, hors du temps. Ensuite C’est l’«architecture intérieure» de la photographie que je m’efforce de mettre en connexion avec celle de l’espace d’exposition et non le cadre de l’image. Cela est obtenu par la réflexion que permet la plaque de plexiglass collée : elle favorise cette particulière cohérence entre l’œuvre, le lien et l’observateur qui se perçoit lui-même dans l’œuvre mais qui se tient dans l’espace extérieur auquel il appartient. Enfin, dans chacun de ces lieux repérés et définis, vous trouvez différentes conditions de lumière, et donc de couleur …
E. L.: Pouvez-vous préciser ces relations entre la couleur rouge et l’espace ? Et tout d’abord pourquoi ce choix du rouge ?
P.: Il n’y a pas vraiment de « pourquoi». Tandis que l’on fait quelque chose on cherche l’explication. Mais je suppose seulement que ce que j’ai fait n’aurait pas été possible avec une autre couleur. Quand on rentrait dans «Red Space 1» on subissait un choc de la couleur ou même les objets disparaissaient; la condensation extrème du rouge amenait ensuite au calme. Si le rouge couvrait entièrement «Red Space 1», il n’aura dans «Red Space 2» qu’un rôle partiel. C’est seulement une couleur parmi d’autres couleurs. J’ai toujours une forte relation au rouge mais qui devient petit à petit très spéciale : le rouge peut être dans une cohérence ouverts avec les autres couleurs. Il en va même en ce qui concerne le rôle de la lumière. Lorsque celle-ci est directe et vient du haut, elle est plutôt jaune. Elle tend au bleu si elle est indirecte. L’installation des photographies met ces différences en évidence. Je ne cherche pas à « peindre» le lieu avec mes œuvres ou à le déranger de quelque manière que ce soit. Je veux le va-loriser. Le libérer. L’installation n’est rien d’autre que la prolongation des énergies internes de l’œuvre par leur connexion avec l’extérieur.