30.10.87 – 9.11.87
Pierre Tilman
Série blanche
Dans l’espace fragile du silence.
Série blanche comme on dit série noire. Résonance littéraire pour cette série d’où le mot est absent. L’artiste – selon le terme le plus communément admis – joueur de mots, pétrisseur de phrases, aimant les histoires, toutes, aimant les raconter, ici se tait. II se tient dans cet espace fragile du silence. Blanc des formes blanches comme une pause, comme un temps de réflexion. Série blanche élaborée et ce n’est pas le fait du hasard à la Villa Arson. Vingt rectangles de bois, vingt modules prêts à devenir des multiples. Vingt jouets pas anonymes, mais ici anodins collés sur les supports de bois, figés par la seule volonté de l’artiste non pas de faire du sens mais de la forme.
Souvent et comme malgré lui, les installations de Pierre Tilman racontent des histoires ou plus justement semblent évoquer de manière légère ces choses graves de la vie que sont l’amour, le travail, la solitude, la guerre, la mort. Ici l’objet-jouet s’est apparemment vidé de son sens. Il n’a été retenu que pour la forme qu’il va générer.
Le jouet n’est plus seulement anecdotique, il est pris comme support d’explicitation d’une dynamique. C’est l’été dans le jardin de la Villa Arson et celui qui dit “le mot de poète serait celui qui me conviendrait le mieux” parle de son goût du simple révélé par cette nouvelle série. Dans l’atelier le jeteur de pierres accomplit son sort et les travailleurs entament leur frêle support. Décidément Pierre Tilman aime à jouer, à redoubler le sens, énoncer des évidences. C’est le même principe, mais comme davantage épuré, parce qu’essentiellement formel que l’on retrouve dans la Série blanche.
Proche par goût, comme on dit par nature, des dadaïstes auxquels le lient la manipulation, le sens du décalage, celui de l’association, Pierre Tilman rejoint ici une autre famille à laquelle il est aussi attaché : celle des minimalistes et de certains abstraits. A sa manière, avec humour et une certaine dérision, il nous propose ici une sorte de bilan. Le mot est bien grand, surtout si l’on considère par ailleurs la simplicité des moyens mis en œuvre dans cette Série blanche. Mais c’est dans ce décalage que se tient Pierre Tilman. Celui qui dit “J’aimerais, parfois, mettre de l’idiotie dans l’intelligence” s’amuse une fois encore à énoncer des principes. Peut-être aussi à dire ses préoccupations. Et je serais tentée de dire que pour cette fois il le fait vraiment en tant que plasticien : par la forme sans aucun recours au langage.
A partir de son matériau favori, le jouet, fidèle à une pratique déjà ancienne mais toujours d’actualité : le ready-made, Pierre Tilman qui durant son séjour à la Villa Arson s’est peu à peu détourné du narratif s’interroge sur la force et la pertinence du modèle géométrique.
Triangles, rectangles, demi-cercles : ces figures de l’essentiel sont engendrées par le geste arrêté des figurines enfantines. Comme une réflexion sur l’art moderne, à moins que cela ne soit un hommage. Mais quand, et c’est le cas de Pierre Tilman, on est en même temps poète et aussi en pleine conscience, volontiers amuseur, on ne résiste pas au plaisir des associations qu’elles soient verbales ou comme ici formelles. Dans cette Série blanche où la géométrisation des formes pures est érigée en principe, trois panneaux semblent échapper à cette rigueur que s’est imposé l’artiste. Le moine, le cow-boy et le dromadaire ne paraissaient pouvoir donner naissance qu’à des formes redondantes par rapport à leur signification. Exception faite de ce clin d’œil que l’on pourrait dire littéraire, c’est dans une réflexion plus grave que s’est engagé Pierre Tilman. Il le montre clairement à l’aide de petits soldats, pompiers et chevaliers de plastique : le geste révèle le visible, le crée, le fait exister mais peut aussi le restreindre, voire même l’effacer. Et cela comme dirait l’artiste : “c’est grave”. Ainsi sous l’apparente légèreté de cette Série blanche se dissimulent ces questions présentes tout au long de ses travaux sur, non pas le jeu, mais les définitions toutes relatives de la vie et leurs emplois.
Marie-Paule Vial