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4.10.91 – 20.10.91

Pascal Pinaud

Pascal Pinaud

Commissariat : Christian Bernard

Remettre la peinture à l’œuvre, et le faire de façon que son propre objet engendre ses propres développements, matériels, visuels et thématiques de façon qu’il offre une logique interne suffisamment solide pour être poussée dans toutes ses conséquences.

Que dans l’accomplissement de cette logique se constitue, au fil du travail, une matière suffisamment riche pour qu’une des tâches premières de l’artiste soit consacrée au choix des paramètres par son objet produit. Que tout cela enfin implique essentiellement d’élire le geste adéquat, approprié, qui conduira à l’émergence de chaque œuvre, unique, au point de justesse qui la clôt.

Ainsi décidément mise en place avec lucidité, la peinture s’avère-t-elle encore, dans une stratégie artistique rigoureusement contemporaine, porteuse d’une forte dynamique interne, porteuse de sa propre régénération.

Pour se donner les moyens de peindre, Pascal Pinaud s’est réservé le droit d’aller repêcher les traditionnelles composantes picturales basiques -matériau, forme, couleur-aux confins du champ artistique, dans le registre des objets trouvés, dans un domaine d’usure et d’usage où elles ne s’apparentent plus à leurs lointaines origines esthétiques que par de problématiques réminiscences, de naïves références imagières, de pauvres et criardes somptuosités décoratives, par l’approximation de mimétismes désinvoltes, par l’affadissement de procédés mécaniques inlassablement ressassés.

Le prêt-à-porter fournit la forme (le patron, tautologiquement mis en œuvre pour lui-même, non plus comme matrice à la démultiplication de la forme, mais comme objet réel et trouvé, pris tel quel dans le matériau qui lui est propre, fournit la couleur (dans un premier temps celle du papier bis, du patron justement, celle aussi de la craie de marquage), fournit la grille compositionnelle (celle de l’écossais qui s’installe comme une rémanence des géométries modernistes), et accessoirement, par le truchement encore du patron et de la couture, débouche sur la voile.

Le recours au tissu d’ameublement implique le format (par la largeur du lé industriel tendu sur châssis), la couleur (dont s’imprégnera la peinture pâteuse et nacrée qui la recouvre) et le motif (volutes baroquisantes du cachemire ou scènes champêtres des toiles de Jouy que le nouveau geste pictural simultanément masque et réanime).

Pour les tableaux de bois, les caisses d’emballage, qui d’ordinaire servent à protéger et à transporter l’œuvre d’art, fourniront le matériau et les essences.

Chaque emprunt suppose un registre technique, implique une mise en œuvre spécifique avec laquelle on ne transige pas, mais que l’on mène, ou que l’on suit, jusqu’au bout de ses conséquences. Ce seront pour les voiles le recours à la couture industrielle, pour le bois une manipulation menuisière parfaitement répétitive, succession d’assemblages, de collages, de découpes qui déterminent à la fois le format de l’œuvre et sa composition finale ou encore de nouveaux procédés informatiques -lecture, transcription et découpe par ordinateur- pour le recyclage des images empruntées au décor populaire ou publicitaire.

On prend alors conscience qu’imperceptiblement, mais décisivement, la peinture, par ce détour entre l’objet d’usage, le cliché et la manipulation mécanique, s’est paradoxalement partout réinstallée, réaffirmée, qu’elle resurgit à tous les degrés de l’œuvre.

Elle s’affirme dans le caractère organique du geste et de la matière pris dans leur acception traditionnelle, dans le mode d’application, la fluidité des coulures, l’onctuosité des empâtements, dans le relief et la translucidité qui se superposent au motif trouvé, dans la qualité tonale du glacis qui oblitère, remet à distance et réévalue, dans la mine écrasée qu’on incorpore dans les interstices de sciage, dans le vernis enfin, discrètement tamponné pour donner évidence à la surface ou généreusement étendu en glaçage fusionnel propre à neutraliser l’espace fictif, à infirmer l’épaisseur du relief, scellant définitivement la facture dans sa vitrification.

Et la maitrise du peintre apparaît d’évidence dans la justesse du format, du volume matériel du tableau, dans la stricte rigueur compositionnelle qui régit les rapports surface et support des imageries recyclées ou qui inscrit avec sûreté la forme simple et agrandie du patron à la tangente des limites du châssis, dès les premières grandes toiles, de façon à la tirer clairement vers l’autonomie, vers un concept de pure abstraction.

Par ce détour premier et dans ce réinvestissement, l’œuvre a trouvé son épaisseur dialectique, usant également des modes mineurs et majeurs et les perturbant, incluant dans le même regard la marqueterie du Grand Siècle et l’image médiatique, la forme minimale et la voile à bateaux.

Lucidement et jubilatoirement polysémique, pas un instant elle ne perd de vue son objet, pas un instant elle ne le dissocie de ses sources, à l’aise et vivace dans son immédiate présence, évidemment contemporaine dans sa capacité à l’ambiguité, évoluant du décoratif à l’austère, de l’écossais Chanel à la grille Mondrian avec la plus parfaite ironie, avec la plus totale conviction.

Hubert Besacier

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