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16.02.90 – 11.03.90

Noël Dolla

Noël Dolla

Commissariat : Christian Bernard

Avoir été à vingt ans l’un des protagonistes de Supports/Surfaces n’a pas toujours servi Noël Dolla. Les années 70 avaient à peine commencé qu’on enregistrait sa participation au groupe comme un fait accompli et sa marque personnelle comme une formulation achevée.

Rappelez-vous, dès 1972, le générique conceptuel, minimal, land-art et anti-form (avec la participation française de BMPT et de Supports/Surfaces) avait dépassé en moins de sept ans tout ce que l’époque avait pu produire d’audacieux. Or pour beaucoup, le film n’avait pas débuté qu’il ne correspondait plus du tout au scénario attendu. Malaise dans les têtes. Le parcours de Noël Dolla et de bien des acteurs de sa génération devait souffrir pendant longtemps de cet effet d’annonce rapidement démenti par une actualité devenue imprévisible et des plus difficiles à rapporter.

Que faisait donc à Nice Noël Dolla puisqu’il s’était arrêté de ponctuer de gros points systématiques tout ce qui lui tombait sous la main, des “toiles libres* aux montagnes de l’arrière-pays en passant par la vallée de la Tinée et de démonter toile et châssis en forme de Croix ou de Tarlatanes saucées dans la couleur ? Quelle pouvait bien être l’issue de ce travail dès lors qu’il ne s’y immergeait pas (à la manière de Viallat) ou ne l’interrompait pas purement et simplement (comme Parmentier ?). La réponse de Dolla fut rétrospectivement assez drôle. Il se mit en 1972 à fabriquer des leurres de pêche avec des plumes de coq gris chinchilla n° 3 précise-t-il.

Curieuse manière d’en finir avec les leurres de la peinture qu’avait dénoncés sa génération. Il y avait en fait, dans ces mouches aux épissures colorées autre chose qu’une petite démantibulation duchampienne. Quelque chose dont l’explication résidait moins dans les débats de l’époque que dans la biographie du peintre. Par la suite, Dolla ne cessera de revisiter cet irrepérable passage du Nord-Ouest, entre des modèles de fascination situés à mille lieues du tableau (et de sa reconstruction) et une fascination non moins grande pour l’objet pictural.

Les sept séries d’œuvres réalisées entre 1986 et 1990 présentées aujourd’hui (et excellement par Christian Bernard) se définissent aussi bien par l’espèce de nominalisme émotionnel qui leur donne leur titre que par les procédures matérielles héritées de Supports/Surfaces qu’elles mettent en jeu.

De même qu’à Berlin, un jour de mai 1980, une dérive photographique intitulée Kempinski Hotel surexposait en quelque sorte la mort du père devant l’écran de télévision d’une chambre d’hôtel, la série de trois toiles nommée Tchernobyl présentée à la Villa Arson, théâtralise le choc ressenti un certain 1er mai 1986, avec une sorte de véhémence qui se veut d’abord picturale, comme un triptyque baroque devant une Déposition. Devant cette série, Dolla invoque pèle-mêle : un après-midi ensoleillé, torse nu au bord d’une rivière où il avait l’habitude de venir pêcher avec un ami, l’irradiation invisible qui aurait pu transformer le tout en un énorme soleil noir, les catastrophes irreprésentables, le retour en force de la peinture allemande à la fin des années 70, le recours à la pâte et aux lourds châssis (comme dans la série qui porte ce titre et quil expose ici), etc. Pas de tableau qui ne soit en même temps un fait matériel intense et un drame, une opération quasi artisanale et le théâtre d’une catastrophe qui a déjà eu lieu. Pas un épisode de l’œuvre durant ces quelques vingt dernières années qui n’ait été marqué par cette double occurrence.

Idem pour Les trois du Cap: les plumes noyées dans le bitume acrylique sont à la fois celles des leurres (et donc d’une réflexion sur la peinture) et de la pendaison de trois noirs au Cap dans la tradition macabre du Far West. Le peuple des bateaux est à la fois une méditation sur le paysage classique, balayé par des ciels transparents et les Boat People ballottés entre ciel et mer au large du Viêt-Nam. Maroufle et Sardine font appel aussi bien à Cézanne, Malévitch et Ryman pour interroger le blanc de la peinture qu’aux peintres en bâtiments venus d’Italie et qui simuleront comme dans Red Slice des papiers peints à l’aide de pauvres empreintes. Les très belles toiles intitulées Les silences de la fumée sont elles aussi d’un côté des étendues de couleur à fresco flammées comme des papiers peints qu’on aurait entrepris d’arracher au mur et par-delà Klein, Kounelllis et Polke, la résolution des antagonismes du dessin et de la couleur, mais aussi, des fantômes de l’ère atomique et de la disparition du peintre dans la flamme rédemptrice d’un fond d’or éclatant.

Xavier Girard

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