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19.11.93 – 19.12.93

Nathalie David

Nice to be in Nice

Commissariat : Christian Bernard

Mo Gourmelon : D’où viennent Les identités-omnibus ?

Nathalie David : Les identités-omnibus ont été conçues, en 1993, pour une publication allemande, Tower of Babel. J’ai été invitée, avec d’autres artistes étrangers, à réfléchir sur l’identité d’une frontière. Le propos m’intéresse. Je vis à Hambourg depuis six ans et je suis confrontée aux conséquences de la réunification des deux Allemagnes et aux problèmes d’intégration des réfugiés politiques de l’ancienne Yougoslavie… On supprime les frontières pour construire l’Europe et, en même temps, tout le monde réclame son indépendance, avec pour écho la résurgence des nationalismes… Bien sûr, j’hérite d’une tradition artistique mais mon travail se nourrit également de faits de société, de ce que je peux lire, voir, entendre, de ce qui me choque et que je ne parviens pas forcément à saisir…

M. G. : Comment passes-tu de ces questions d’actualité à un travail plastique?

N. D. : J’ai réalisé sept portraits en français, en allemand, en anglais, langues dans lesquelles je m’exprime et réfléchis. Le travail repose sur une confrontation entre une photographie et un dessin. De natures différentes, photographie et dessin traduisent dans leur friction les conflits, implicites, liés au mélange des identités culturelles. Les verbes tels que fragt, regarde, see, écoute, remember, denkt, think, donnent l’expression dominante de chaque image et s’adressent au spectateur comme des injonctions. J’aurais pu parler d’identités plurielles mais je préfère la notion de déplacements ou d’arrêts successifs induits par le mot « omnibus »…

M. G. : Pourquoi avoir choisi de présenter dans un appartement un travail conçu tout d’abord pour une publication ?

N. D. : L’évolution à l’intérieur de mon travail est totalement déterminante. Si je devais trouver un équivalent verbal, le terme de « mutabilité » serait plus juste que mutation qui est trop impératif. Effectivement, la version présentée ici existe pour la première fois dans un espace. Elle s’y est totalement adaptée. Une fois conçues et réalisées, certaines de mes images peuvent être indifféremment présentées dans des revues ou sur des murs… Elles sont retravaillées en différentes couleurs, trouvent de nouveaux supports, d’autres échelles. Leur déclinaison est sans cesse actualisée.

M. G. : Il s’agit donc bien d’une constante de ton travail ?

N. D. : Oui, bien sûr ! Et je pourrais tout autant évoquer l’évolution du Sens interdit unique, une pièce initialement commandée pour une rue du Cannet en 1991. Œuvre autonome et déplaçable, je l’ai imaginée à partir du signe le plus radical de la signalisation routière. J’ai transformé la figure du cercle en poisson. La présence du poisson est une autre constante de mon travail. C’est une figure symbolique, absolument fondatrice, présente dans la plupart des civilisations. En 1993, à Hambourg, je l’ai réalisé à l’échelle monumentale dans une exposition collective. Directement exécuté sur un mur, le poisson faisait d’évidence l’éloge de la peinture, dans la lignée de la fresque, indissociable de son emplacement. Je l’ai alors rebaptisé Gold fish, traduction exacte de poisson rouge, interprétation souhaitée de poisson d’or. Mais, en présentant le Sens interdit unique ou le Gold fish, l’impact visuel demeure intact, ce qui m’importe plus encore que de jouer exclusivement sur les mots, sur les seuls effets de traduction. Le Gold fish présenté ici, dans cet appartement, est réalisé à une plus petite échelle. L’œuvre a évolué dans le choix des matériaux mais pas dans le titre…

M. G. : Quelle importance accordes-tu aux matériaux que tu utilises ?

N. D. : Je suis très attachée à la qualité des matériaux. Dionysos*** et Apollon*** contrairement au Gold fish sont deux formes accomplies et indissociables. L’utilisation du polystyrène et des trois étoiles de la réfrigération exprime la notion d’une conservation, d’une protection. L’équilibre est atteint entre une certaine sagesse et un diabolisme particulier. En même temps, mes interprétations de la parfaite beauté d’Apollon (un cochon gonflé sur une assiette) et de Dionysos (une vache volante sur une bouteille de Vodka), tout d’abord photographiées puis retranscrites en volume, sont gagnées par l’ironie. De la même manière, la sculpture intitulée Die Hochzeit (le moment suprême) est un hommage au Baiser de Brancusi. Je donne une libre transposition de la femme et de l’homme en fourchette et spatule, qui sortent de la ménagère offerte en cadeau de mariage ! Des instruments spécialement achetés puis décorés et non pas trouvés, usagés, marqués par une vie antérieure. Untitled constitue une autre forme d’hommage à la peinture, à la nature morte. Son titre s’inscrit comme un commentaire barrant la toile, des arêtes de poisson sont disposées au milieu des fleurs… Le poisson sous le tiroir est également une version de la nature morte mais en trois dimensions.

M. G. : Considères-tu La série de femmes comme un travail à part ou peut-on le situer dans la lignée de ta production habituelle?

N. D. : La série de femmes est un multiple, une série limitée. Elle regroupe neuf dessins, présentés autrement que sous verre. Ils se réfèrent à la mode, à son environnement, à l’accessoire, domaines supposés féminins. Dépliés, ils occupent le mur. Pliés, ils disparaissent dans un étui en carton. La diffusion change, mais la conception appartient au même registre que mes autres pièces. Mes sources sont différentes, puis j’élague jusqu’à obtenir des figures concises. Ici, les références sont prises dans la littérature, le cinéma, le théâtre, l’opéra… mais aussi dans les faits de société, mes impressions de la rue. Dans cette mise à plat, je ne souhaitais pas qu’un registre surpasse l’autre. J’ai également choisi d’accorder cet orange, ce bleu, ce violet qui ne sont pas des couleurs pures mais recèlent des mélanges…

Maison de Monique, entretien réalisé à l’occasion de l’exposition La maison de Monique, Philippe Cherel, 36 rue de Penthièvre, 75008 Paris, octobre 1993.

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