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21.10.94 – 13.11.94

Natacha Altman

Les alouettes rôties ne tombent pas dans la cheminée

Commissariat : Christian Bernard

Guide pratique à l’intention du visiteur

Mise en garde

L’utilisation de commandes, réglages ou procédures autres que ceux spécifiés est susceptible d’entraîner une incompréhension partielle ou totale de l’exposition.

Caractéristiques

Exposition d’art contemporain du type installation, donc fortement liée à l’objet quotidien sur lequel Natacha Altman intervient à différents niveaux. Résultante d’une réflexion engagée à Paris, où l’artiste a vécu pendant plusieurs mois, et surtout d’une recherche menée dans le cadre d’une résidence d’artiste à la Villa Arson, plus précisément au studio n° 6.

Précautions

Certaines pièces nécessitent une manipulation directe, d’autres s’en passent volontiers. Suivre attentivement les indications ci-dessous afin de ne pas endommager les composantes de l’exposition.

1. Les coulisses de l’exploit

Ici deux boîtes de bobines de film appuyées l’une contre l’autre en équilibre précaire, dans une attitude proche de la prière. Éviter de respirer trop fort, elles tiennent par la grâce du Saint-Esprit. En art, ce type de geste minimal s’apparente à la sculpture. Chez Natacha Altman, la juxtaposition ou l’assemblage d’éléments identiques, similaires ou totalement dissemblables est récurrent. C’est un principe de perversion des codes qui conduit au mutisme de l’œuvre. (L’acmé en la matière ayant été atteint en 1993 avec Die bunte Welt, une crèche, version cheap d’un Jérôme Bosch, combinant divers éléments de Kinder-Surprise entre eux.) Au risque de décevoir, les coulisses sont vides. Il n’y a plus de bobine de film. Le spectacle n’est pas nécessairement là où l’on croit. Levez la tête et regardez mieux autour de vous. Les coulisses de l’exploit c’est le lieu dans lequel l’artiste a mûri son travail. Une réflexion sur la temporalité. Tout est là. Dans le désordre, tes lits, le bureau, les étagères. Vous avez dit Studio n° 6 ? Mais oui, l’art c’est la vie !

2. Les bruits de la vie, une sélection

Tendez l’oreille. Autour de vous tout est en mouvement. Un avion qui décolle, une voiture qui passe. Le monde moderne produit des sons reconnaissables. Pourtant au cinéma on les recrée artificiellement. L’art c’est aussi du cinéma. Ce qui est donné à entendre ici c’est une abstraction pour l’ouïe, mais ce sont aussi des clichés auditifs. Le rapport de Natacha Altman au monde se veut immédiat. Utiliser les objets comme on utilise le sens commun. Prendre au mot l’objet. Les titres des œuvres sont souvent des proverbes, des dictons ou autres maximes riches en sagesse populaire et en idées reçues. La vie platement, parfois médiocrement.

3. Les bruits de la vie II

Prière de toucher. Installez confortablement vos deux oreilles sous le casque du dictaphone et appuyez sur play. Cette fois vous êtes dans le métro de Paris. Après la fiction, la réalité. L’art c’est encore la vie. Le son est parfois inaudible. Mais a-t-on toujours envie d’entendre les personnes qui font la manche ? Qui n’a rien n’est rien. Ce n’est pas une raison pour empocher le dictaphone.

4. Cela ne se peut pas II

Mais si pourtant et il va bien falloir l’admettre. Avec Cela ne se peut pas (1994), une armoire pleine à craquer de serviettes et de torchons, Natacha Altman inaugurait un système de remplissage jusqu’à l’absurde. Il ne faut pourtant pas mélanger les torchons et les serviettes. Dans le monde de la multiplication technologique de l’image, l’artiste fait ici des reprises comme le cinéma, mais… à la main. Sur les lits, le voile blanc est jeté. Jour après jour, des petites mains patientes ont reprisé les dessins, les jours de la broderie. Il n’y plus un trou ou presque. Pauvreté du geste. Autisme féminin. Folle entreprise. Mais inutilité si hautement poétique. Pénélope, la salope…

5. De Irritatione Insipientum

Chez Thomas d’Aquin : « la stimulation des insensés ». Ne cherchez pas des réflexions profondes sur l’alchimie, toutes ces locutions latines sont inexactes et purement mimétiques. Un jeu d’enfant. Une esthétique du ratage. On en perd son latin.

6. Sur le succès et quelques réussites

La moins cryptique des pièces. Sur le sol, une couverture de survie. Sur ce tapis, une mini-réussite, retentée à chaque installation. Pas de chance cette fois Natacha. Combien de jeunes artistes au R.M.I. ? Tout est dit.

0. Vous êtes ici

En êtes-vous vraiment sûr ? Méfiez-vous, l’art contemporain pourrait bien vous mener par le bout du nez. Mais où sont donc les œuvres ? En art, pas de certitude. Persistez dans ce jeu de piste, vous gagnerez peut-être des bons points.

7. Tout ce dont Je me souviens

C’est d’abord le titre d’un film de Christian Boltanski, mais ce n’est pas tout à fait une citation, plutôt une appropriation. Les artistes sont kleptomanes. Ne le soyez pas, contentez-vous de vous laisser aller à soulever ce joli cylindre rouge des seventies. Mais oui, le memo-tec est l’ancêtre du post-it. Celui qui vous rappelle qu’il faut acheter 10 kilos de courgettes. Essayez, la meilleure arme est celle qui est la plus proche de la main.

8. 30 ans d’histoire

Le 30 janvier 1994, Natacha Altman trouve à Paris, dans les poubelles du cinéma Pathé (on se débrouille comme on peut) trois volumes manuscrits. Ce sont les cahiers des bons de commandes pour un documentaire historique sur les deux guerres mondiales, tourné de janvier à octobre 1964, soit exactement 30 ans auparavant. Tenu par la monteuse du film, Marinette Cadix, ces registres relatent toutes les petites opérations liées à ce documentaire sans importance. On y retrouve une série de noms, celui du réalisateur, un certain Robert Valley, celui des fournisseurs, Madame Laboissetier, Monsieur Renucci et Mademoiselle Faux de la cinémathèque Gaumont. Les volumes qui comportaient une page blanche sur deux sont ainsi devenus le journal de Natacha Altman. Avec la monteuse, elle a écrit le livre, 30 ans après, presque jour après jour. Toujours cette activité de remplissage et de récupération. Au fil des pages on lit des réflexions laconiques sur l’art, sur l’existence. On reconnaît bien là notre crypto-artiste. Aucune concession à la narration. Comme d’habitude, l’appropriation des textes : des passages entiers de Debord, Ovide et quelques inconnus recopiés sans le nom de leur auteur. Tout tombe dans le domaine public. Une pièce majeure qui contient la genèse de toutes les autres.

9. Les coulisses de l’exploit II

On ne va tout de même pas vous expliquer toutes les pièces.

10. La pointe du triangle

Dans un de ses tubes, Christophe chantait modestement « avec les filles j’ai un succès fou ». Les chaussures de la fille sont là, elles ont pratiquement le même âge que ce vieux-beau. Mais à en croire la pochette du 33 tours, elle préfère le paso doble. Je me demande si elle n’est pas basque. Le succès, c’est bien un gâteau basque ? Allusion autobiographique, métaphore de la réussite sociale ? Au fait, quelle est la différence entre une allégorie et une métaphore ? De toute façon sur la pointe du triangle on est mal assis.

11. Interludes

Vous n’avez pas traversé cet encombrement pour rien, voilà un vrai travail d’artiste : une vidéo ! Ces interludes, on dirait la télévision de l’enfance, celle de la génération du baby boom. Et toujours cette esthétique seventies. L’image aux formes molles et changeantes est complètement psychédélique. On a envie de se laisser aller à la liquéfaction jusqu’à ce que l’horrible crâne électronique sévisse. Le jeu comme apprentissage des codes sociaux. Mais franchement, je préférais la petite boîte qui faisait « meuh ».

Le parcours est fini. Vous avez mérité de vous détendre dans le fauteuil jaune. Attention, vous faites partie de la pièce.

Catherine Macchi

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