12.05.95 – 11.06.95
Marc Chevalier
Marc Chevalier
Commissariat : Axel Huber, Jean-Philippe Vienne
Et la fête !
Nombreux sont les peintres qui ont tenté de produire la peinture à partir de la matérialité de ses résidus. Éclaboussures, débordements, coulures, bordures, franges, marges, toutes sortes de madrures, de maillures, de mouchetures, de tiquetures et de panachures, ont ainsi trouvé une vie après le désastre, une manière de réhabilitation après l’exclusion, la condamnation ou la déportation. On y a lu tout à la fois la liberté des artistes et leur capacité à gérer la mort annoncée de l’art comme un nouveau chapitre de son existence, une nouvelle donne.
Marc Chevalier ne fait pas partie de cette génération, il en est l’héritier. N’ayant pas eu la chance de la découverte, il n’a pas non plus couru le risque de la naïveté qui guette si souvent le découvreur. Aussi travaille-t-il beaucoup moins avec le résidu de la peinture, cela que la production même de la peinture aurait un temps banni de sa tribu, qu’avec son reste, cela qui reste d’elle-même, cela qui sans cesser d’être la peinture embarrasse d’habiter en banlieue plutôt qu’en ville, de l’autre côté des remparts ou du bord du tableau, des boulevards des maréchaux, de la petite ou de la grande ceinture : après la virgule, là où subsiste le reste par exemple de la division.
C’est pourquoi cet étonnant travail de peintre est aussi un travail d’intelligence, un travail sur le cadavre qui, à force de composer avec la décomposition réanime le pantin, mime à ce point la vie de la peinture qu’il en ré-interroge les fondements et accède, en mentant le mensonge sur son propre terrain si l’on peut dire, à une forme assez neuve de vérité. Car ce travail n’est pas désenchanté : il hérite du désenchantement, il l’habite comme une première nature et pour se sauver, comme chacun, de l’ennui, il y découvre les enfants des merveilles perdues dont le deuil n’est pas encore sec.
Il faut tout comprendre dans ce travail, tout emporter sur l’île déserte de la contemplation, ne rien jeter d’œuvres constituées de ce qui avait d’abord été rejeté, comme si la réitération avait pu en précéder la naissance. Tout y est sens. Et les sacs en plastique qui transportent la matière même de notre survivance et les signes inutiles qui n’en désignent plus le contenu. Et les sacs en plastique qui évitent les tâches sur le sol ou à côté du tableau. Et les sacs en plastique qui brillent comme la laque à côté de la matité de la couleur. Et les coloriages sur les sacs qui donnent un nouveau destin aux vocabulaires usés de nos semaines économiques en les ré-infantilisant, c’est à dire en les privant à nouveau, le temps d’une visite dans l’espace du musée, des pouvoirs de la parole. Et les empilements, à la verticale des murs, où se rejouent toutes les subtilités des apprêts, des fonds et des couches qui ont détaillé jusqu’à la fascination l’histoire de la matérialité même de la peinture. Et les mots désécrits, comme lavés de leur sens.
Et la fête, pourvu qu’on s’y livre d’assez près.
Jean-Philippe Vienne