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28.01.89 – 19.02.89

Julia Ventura

Julia Ventura

Commissariat : Christian Bernard

Voir l’œuvre de Julia Ventura, la comprendre dans toute sa dimension théorique et esthétique, c’est l’appréhender par le biais des sens tout autant que par celui de l’intellect. Car, si toute œuvre d’art porte en elle ces deux dimensions, les œuvres de Ventura y ajoutent le travestissement de l’une par rapport à l’autre dans un mouvement pulsionnel de répétition.

La répétition stratégique ; II était à prévoir que la recherche photographique menée par l’artiste au cours des années 1984 et 1985 allait conduire à cette manifestation d’intérêt pour le langage, celui-ci étant un prétexte à une mise en garde philosophique concernant le mystère et sa fonction existentielle. C’est en effet à travers une grille ayant pour but premier de niveler le langage que le mystère du sens se révèle à nous.

N’est-il pas vrai que dans la répétition le langage se perd mais que l’écriture reste ? C’est donc un peu comme si chacune des photographies ayant répertorié un geste inédit se constituait comme élément d’un vocabulaire du mystérieux. Or, cette non possibilité de saisir le sens de ces gestes se trouve soumise à une logique créée de toute pièce par la répétition. C’est alors que le motif apparaît et qu’il répond à ce besoin de sens dont l’esprit semble inlassablement avoir besoin.

Lié au décoratif, le motif possédé incontestablement sa raison d’être. Mais ceci n’est que leurre de l’esprit parce que si le spectateur y regarde de près, un monde d’une toute autre nature se révèle à lui. Un monde qui bascule à nouveau dans l’inconnu, dans le déséquilibre et dans l’absurde. Un monde lié à l’univers des sens par son sujet même.

Julia Ventura, par cette oscillation entre le sensuel et le rationnel, compte sur l’efficacité du malaise créé, pour divulguer le sens général de sa recherche. Elle compte en quelque sorte sur la perte de sens que cause la répétition pour retrouver le sens. Elle donne une signification au non-sens, elle justifie ce qui est en marge du connu. Par ailleurs, à cette répétition comme stratégie est associée la dimension psychologique du ludique.

Comme l’enfant trouve son plaisir dans la répétition, l’artiste joue à reprendre tant les images réalisées il y a déjà plusieurs années que la forme du motif abstrait créé par l’inversion des images et l’addition de couleurs. Or, cette dimension de jeu a pour fonction d’ajouter au malaise de l’impression d’assister à une scène qui ne devrait pas être vue”, faute de pouvoir être immédiatement décodée.

En fait, le spectateur se découvre tout à coup voyeur sans l’avoir désiré. C’est que les images photographiques représentent l’artiste elle-même, visiblement nue et dans un état psychologique des plus ambigus. Son regard chargé de sensualité est équivoque. Vit-elle le chagrin ou le désir ? Dans les deux hypothèses, l’atmosphère intime qui baigne le sujet, accentuée par les couleurs rouge et rose ainsi que par la mise en scène d’objets fortement empreints de romantisme, concourent à faire naître cet inconfort.

A ceci s’ajoute l’effet de narcissisme émanant du procédé même de l’autoportrait. Une œuvre comme celle intitulée Sans titre, 1989, est en fait une succession de portraits très semblables de Julia Ventura tenant une rose. La tête penchée légèrement, chacun des onze regards différents exprime la sensualité. Cela est tout particulièrement dû à l’utilisation de la fleur comme accessoire, à la façon étrange dont le sujet la tient et au fait que l’artiste soit nue. Cette ambiguïté augmente par l’absence d’images dans la grille. Le rythme créé par la succession se trouve soudainement coupé sans raison évidente. Alors le mystère naît. La logique se lance dans des suppositions de tous ordres.

L’ordre du plastique, loin d’être exclu, révèle en fait une clé de lecture. Il propose une analyse esthétique d’un système de création sophistiqué où le théorique a pour but d’ouvrir les voies d’autres horizons du savoir.

Dans une autre œuvre de 1989 aussi sans titre, Julia Ventura amorce un cycle nouveau où l’inversion s’ajoute à la répétition comme stratégie formelle ayant pour but le gommage du sens. Cette fois-ci seule la tête de l’artiste a été retenue comme sujet photographique. L’ambiguïté du signe réside cependant toujours dans le geste d’un grotesque étudié. En effet, la langue exagérément sortie et recourbée échappe aux règles du signe. Évoquant le sensuel et suggérant presque l’érotisme, d’aucuns y verront une certaine indécence. Quoi qu’il en soit, c’est à travers la rigueur du système de grille inversée que la logique refait à nouveau surface, froidement.

Le sujet devient motif sans toutefois perdre totalement son identité. La recherche plastique de Julia Ventura propose ici une nuance du principe de répétition en le complexifiant par l’inversion du sujet et par l’ajout de couleurs distinctes pour le fond et la forme. Un rythme est créé par la composition de la suite des couleurs. Le rationnel domine donc la perception première de l’œuvre.

Manon Blanchette

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