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21.10.94 – 13.10.94

Jean-Luc Verna

e

Commissariat : Christian Bernard

Souvenir de tournage entre Nice et Monaco. Sur la Riviera, sous le soleil exactement, une chaude impression d’inertie. Rien ne semble avoir vraiment changé depuis les années soixante-dix. L’heure est à l’hyper-représentation, on vit sa vie comme un vaste film. Chaque mot, chaque geste, chaque regard tourné vers la caméra. Les hommes, chemise ouverte, chaîne en or qui brille,’ parlent d’affaires, un verre à la main. Quelque chose sonne comme une série, B. Les femmes, lèvres et paupières peintes le corps arrogant sous leur robe panthère, font claquer des chaussures insensées sur la promenade. King Maniera et Une Wonder Woman, culte du corps et chirurgie esthétique, c’est post-humain à chaque instant/ Mauvais gout ou formidable liberté l Qu’importe, puisque tout est permis. Comme dit la pub, à eux d’inventer la vie qui va avec.

Eric en gloire, Elvis as a Madonna, Bloody Marie-Eve. Mais qu’ont-ils tous au juste ?

Jean-Luc, du haut de ses bottes à plate-forme, du long de ses jambes en vinyle, le torse serré dans son petit survêtement vert, me dit que comme eux il a été frappé de la maladie esthétique des seventies : T.M.C. La télé supermode mi-américaine, mi-monégasque qui avait réussi à construire le spectaculaire comme du gothique. On y voyait les premiers trucages vidéo, les débuts des incrustations T.V., le générique du catch avec ses lettres mouvantes. Amicalement vôtre, tourné à Sophia Antipolis ou à Valbonne, projetait un monde de richesse en pleine crise. Son Altesse roulait en Aston Martin. Le carton-pâte des spoa opera avait la même couleur que nos jupes trapèze et nos tee-shirts moulants. Je me souviens d’s escales du Pacifie Princess à Guadalajara. Love boat ou Mes petits amours. Dans chapeau melon et bottes de cuir, Tara King avec ses cuissardes s’était substituée à l’image trop sage d’Emma Peel. Imperturbable, Steed continuait de déjouer les agents doubles. La mort dans un fauteuil. On avait tous chez soi une lampe boule en papier, parfois même une lampe en fibres optiques, comme celle de Brice. Qui’ n’a pas fait les transferts Podium au fer à repasser sur son jean patte d’éléphant ? C’était les années disco, brushing, paillettes et boîtes de nuit. Le sexe sous Dinintel. Sur-la Côte d’Azur tout était esthétiquement fou. Du Negresco, Deluxe, sortaient les Américaines bronzées comme des biscottes. Sur la plage, leur grand chapeau de paille, des lunettes roses et le tube de Copertone avec le petit chien qui tire la culotte de la fillette blonde ? I love America. Dans la piétonne, une douce odeur d’après soleil et le premier magasin punk.

Entre les maniéristes et les punks, Jean-Luc dessine la surenchère des images, toutes les images, des images qui se bousculent comme des fantômes. Les sis Bore. Sur le mur, les formes apparaissent miraculeusement au trichlo, la première défonce, effet facile. Wall drawings aux allures académiques. Figures imposées un rien sales et tachés. Lorsque la dextérité se joue de J.A.D Ingres. Multipliée, l’image se dissout dans la texture du mur, elle se fossilise comme un vieux poisson.

Sa fascinante plastie me procure un frisson. Il y a de ces figures…, on dirait des Félicien Rops. Le papier à disparu, avec lui l’original. La salle est vide. Sur l’écran, on croit lire The End.

Variation sur un thème cher au Romantisme. Le jeune homme et la mort. Cette perte, c’est le deuil du dessin. Non, pas tout à fait. À y regarder de près on voit encore des traces de crayon. La maniera, toujours là. Sainte Rita patrone de Nice, protectrice des putains et des causes désespérées, veille. L’Ange Rita ouvre les yeux à tous ceux qui veulent bien l’entendre mais qui croient encore que la sculpture grecque était immaculée. À toi Jean-Luc.

Catherine Macchi