8.04.94 – 5.06.94
Gérard Collin-Thiébaut
Gérard Collin-Thiébaut
Commissariat : Christian Bernard
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Dans le monde génial de l’art, Gérard Collin-Thiébaut est un curieux personnage, loin des effets de mode, qui s’apparenterait plutôt à la figure de l’employé du XIXe siècle : greffier du réel, il publie des collections infinies d’images présentes dans le monde. Le critique qui entendrait rendre visible la complexité de l’œuvre de Collin-Thiébaut devrait s’appliquer à la rédaction d’un catalogue raisonné si cet opiniâtre archiviste ne l’avait précédé, faisant du catalogage une dimension de son travail.
Déjà à l’âge de 14 ans, ce Bouvard et Pécuchet à lui tout seul, copiait le Petit Larousse illustré en reproduisant les tableaux en vignette. Suivant le bon conseil de Jean Dubuffet, Collin-Thiébaut travaille dans l’anonymat de 1968 à 1980. Sur des feuilles blanches de format 21 x 29,7 cm, il dessine ce qu’il appelle des « diapositives » – signe prémonitoire – soit des images de tout petit format, issues des médias et accompagnées d’une phrase manuscrite. À partir de 1980, le dessin est photographié et projeté, tandis que le texte devient son. Soucieux de se tenir à contre-courant des conventions artistiques en usage, Collin-Thiébaut refuse pour ce travail le terme d’installation, lui préférant celui de dispositif audiovisuel. L’intervention reste discrète, à la marge du visible. L’image est projetée, sporadiquement, à la lumière du jour et très près du mur afin de lui conserver un format proche de la diapositive.
Puis, le 17 mai 1985, le lendemain de l’anniversaire du jour où Gustave Flaubert acheva le manuscrit de L’Éducation sentimentale, Collin-Thiébaut commence un travail minutieux de copiste en réécrivant ce chef-d’œuvre de la littérature française dans des cahiers d’écolier comme Pierre Ménard avait réécrit le Don Quichotte1. Le lundi 18 novembre de la même année, soit le lendemain de l’anniversaire de la première édition du livre, L’Éducation sentimentale, COPIE est présentée à la Bibliothèque Nationale. C’est le chef d’œuvre de Gérard Collin-Thiébaut.
À partir de 1986, le travail conceptuel de l’artiste se déploie dans l’espace avec assurance et le processus de copie passe de sa virtualité première à la tangibilité profusionnelle qui le caractérise aujourd’hui. Continuant d’observer un ready-made de l’attitude, l’artiste manifeste encore l’année suivante son refus de l’œuvre d’art unique par l’appropriation, l’amputation et la multiplication de la Roue de bicyclette de Marcel Duchamp dont il ne garde que le tabouret jusqu’à obtenir le rythme de la Colonne sans fin brancusienne.
Évoluant dans une catégorie artistique proche de l’inframince, Gérard Collin-Thiébaut exploite l’idée populaire du beau et du joli, donc du moyen, en élaborant toute une série de travaux que l’on pourrait définir de bon goût, proches de la sensibilité commune. Si le principe de la copie n’est pas éloigné de la mimesis, il lui suffit pour faire un portrait aujourd’hui de découper dans les magazines les magnifiques icônes de nos héros modernes et d’encadrer ces belles images et points de vue du monde (Portraits de caractères, 1988).
Avec cette intuition du devenir philatélique de toute « œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique2 », Collin-Thiébaut met en place un système de reproduction et de miniaturisation de la peinture dont le regardeur peut se rendre acquéreur à moindre prix par le biais d’un distributeur automatique ou par correspondance. Les images de Gérard Collin-Thiébaut instituent tout un réseau parallèle de vente et de collection qui singe à merveille le marché de l’art. Le collectionneur désireux de posséder une œuvre unique – mais peut-on posséder impunément l’art ? – paiera 100 fois plus cher sa petite image et il en perdra un morceau puisque ses initiales seront perforées à l’intérieur de l’œuvre. Quant aux artistes, ils subissent un sort non moins enviable. Collin-Thiébaut les réifie en les transformant en petits soldats de carton : ceux qui sont encore vivants sont de simples fantassins et ceux qui ont trépassé accèdent au rang de cavaliers.
Évacuant le savoir-faire au profit du faire, Collin-Thiébaut trouve le moyen de continuer la peinture en réalisant chaque jour le geste minutieux d’assemblage de pièces de puzzles représentant des tableaux de grands maîtres. Ce sont les Transcriptions que l’on pourra découvrir cet automne dans les musées de Nice et de la région, insidieusement accrochées parmi les vrais tableaux des collections.
Esquisse d’une rétrospective, l’exposition de la Villa Arson est une première dans le parcours muséographique de l’artiste puisqu’elle met à jour les travaux des années 70 qui n’ont jamais été montrés et qui constituent la protohistoire de son travail : Écrits en tous genres, au jour le jour, pour les pas difficiles (1970-1793), des textes manuscrits et Diapositives (1978-1980), des dessins de petit format. On peut y découvrir, en outre, trois rébus inédits (1993) mettant en images trois statements de Lawrence Wiener. Les croisements entre l’image et le mot, ainsi que les correspondances qui en découlent (Collections de caracères, 1986), semblent bien être à l’origine de ce travail conceptuel où s’entrelacent, avec subtilité, poésie et ironie (Tableaux de caractères, 1987).
Cette exposition, mais surtout le catalogue rétrospectif en préparation, devraient faire apparaître l’unité du travail de Gérard Collin-Thiébaut qui, depuis plus de vingt ans, tourne autour du principe d’appropriation par une activité quotidienne de réitération de gestes domestiques qui curieusement semblent être les moins adéquats à la copie moderne.
Catherine Macchi
Notes :
1. Jorge Luis Borges, Fictions, Nîmes, 1939.
2. Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique, 1935.