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10.04.93 – 30.05.93

Erwin Wurm

Erwin Wurm

Commissariat : Christian Bernard, Axel Huber

La présentation d’Erwin Wurm à la Villa Arson poursuit l’examen de la scène viennoise qui a vu se succéder Willi Kopf (mars 1990), Heimo Zobernig (janvier 1991) et Gerwald Rockenschaub (avril 1992) dans la Galerie Carrée, ainsi que Franz West, invité à participer à l’exposition Juste en dessous 6 (juin 1991), Heinrich Dunst, représenté dans Tableaux abstraits (juillet 1986) et Hans Weigand, présent dans Les mystères de l’auberge espagnole (décembre 1992). Remarqué, notamment, lors d’Aperto à Venise en 1990, Erwin Wurm interroge la nature de la sculpture en métamorphosant les structures minimales par la réintroduction d’indices du corps. Pour ce faire, il opère depuis quelques années sur le principe du recouvrement, concept qui trouve sa concrétisation première dans l’utilisation du vêtement et qui permet à l’artiste d’obtenir des effets de décalage entre l’élément sobre et pauvre de recouvrement qu’est le vêtement et l’élément solide recouvert, plus noble, dont le statut n’est pas très éloigné du socle. Habillé, le socle prend ainsi une apparence nouvelle, plus molle, un peu comme si quelque chose à l’intérieur était en train de se matérialiser en creux : une sorte d’absence significative. Par ailleurs, l’artiste confronte le vêtement à cet autre support de l’œuvre qu’est l’étagère. Dans ces présentations frontales, l’on remarque néanmoins que chez Wurm la tablette ne porte plus : elle est englobée par le tissu, cette matière lâche – souvent un pull de laine – dont la souplesse, en déformant la structure de base, vient bouleverser la logique.

Parallèlement à ses installations, Wurm réalise des vidéos dans lesquelles il se met en scène recouvert d’une telle quantité de vêtements qu’il apparaît impossible de déceler sa silhouette. En conférant une forme aberrante au vêtement, l’artiste donne naissance à toute une série de jeux de familiarité avec l’habillement. Gonflé comme un bibendum, le corps apparaît outrageusement déformé, dénaturé jusqu’à l’absurde. Quant à l’habillement, détourné de sa fonction première, puisqu’il est enfilé, expérimenté, sans distinction aucune par chaque partie du corps et sous toutes les coutures, il subit les distensions les plus extrêmes depuis l’allongement jusqu’à l’élargissement, devenant ainsi un principe actif.

C’est encore de la sphère du ludique que relèvent les vêtements pliés qui, sous l’emprise d’une étrange perversion, finissent par se recouvrir eux-mêmes. Illustrés dans les catalogues d’exposition par des modes d’emploi révélant les différentes phases de pliage, ces œuvres modulables ne sont pas très éloignées dans leur principe de certains travaux praticables et habitables de Franz Erhard Walther.

Le système du recouvrement trouve également sa réalisation dans le recours au mobilier d’exposition tels que le cadre ou les vitrines, écrins de l’œuvre, qui dans une logique de mise en abîme du principe même du recouvrement, sont à leur tour parsemés de poussière. De même que le vêtement habille le corps, la poussière vient se déposer délicatement, progressivement, sur les pièces comme un vêtement second. Ce travail sur la trace opère ainsi un renvoi d’ordre catégorique et mythologique au problème du temps et, plus particulièrement, à celui de la conservation des œuvres d’art. De la survie artificielle de la création. On a, en effet, souvent décrit les musées dans le langage du château abandonné de La belle au bois dormant, là où les œuvres inéluctablement se recouvrent de ce pigment du temps. En ce qui concerne plus particulièrement l’histoire de l’art, il est clair qu’un tel travail se situe directement dans la lignée d’Élevage de poussière de Duchamp, photographié par Man Ray à partir du Grand Verre en 1920 : cette idée de l’inframince, de la plus petite élévation possible, celle-là même qui précède les plaques de Carl Andre et qui trouve une application percutante dans les petits tas de pollen, infranchissables montagnes, de Wolfgang Laib. Lorsque l’on voit les vitrines recouvertes de poussière qu’Erwin Wurm réalise à la Villa Arson, en se servant du mobilier même du musée, on se souvient aussi de ce geste poétique de Robert Filliou – presque une caresse – que l’on pourrait nommer Prélevage de poussière et qui consistait à essuyer d’un revers de chiffon les tableaux et les sculptures du Louvre. Imprégnées de la précieuse constellation, ces reliques devaient être à leur tour placées dans des vitrines.

Il y a, on le voit, dans le travail d’Erwin Wurm la recherche d’un glissement constant du statut des choses qui permet de donner lieu à des situations nouvelles. S’il est vrai que l’on est en face d’un art hybride, à la fois d’ascendance minimaliste et proche de l’action par la corporalité qu’il implique, ce travail ne perd pas moins toutes les connotations pathétiques ou héroïques de la performance, notamment par l’humour qu’il sous-tend, offrant ainsi une proposition artistique possible, celle d’un après Beuys.

Catherine Macchi

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