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6.02.93 – 21.02.93

Dominique Figarella

Dominique Figarella

Commissariat : Christian Bernard

Dominique Figarella a exposé du 5 au 21 février dans la Galerie de l’École une série de tableaux abstraits, “Sans Titre”, 1992-93.

Diplômé de l’école en 1992, Dominique Figarella s’intéresse dès le début de sa formation artistique à la peinture abstraite. Parce qu’elle constitue une véritable mise en exergue de l’autonomie du tableau, l’abstraction s’impose à lui comme la seule voie envisageable. Toutefois, conscient des dangers de redite que peut présenter la technique picturale dans le contexte actuel, avec la multitude de mouvances artistiques qui ont évacué le sens de la forme et qui ont fini par plagier des mouvements historiques de l’ampleur de l’expressionnisme abstrait, Figarella décide d’opérer une mise à distance du médium pictural en le reléguant au second plan. Son substitut il le trouve en la présence de matériaux qui paradoxalement relèvent de l’objet : chewing-gum, sparadrap, film alimentaire transparent, plexiglas, matelas en mousse, autant de données dont la présence plastique (au sens propre comme au figuré) n’est pas sans rappeler la dimension organique de la peinture.

La peinture, le regardeur finit souvent par l’oublier, se donne avant tout à l’artiste sous une forme plus ou moins liquide, selon son degré de dilution, avec tout ce que cela suppose comme sensations olfactives et tactiles. Cet aspect changeant de la matière fluide, visqueuse ou pâteuse, le peintre le vit, au fil de son travail, avec le corps selon une succession de gestes qui lui sont propres et dont la relation au comportement n’est pas très éloignée du rituel. Dans la volonté de purifier la peinture en la dépouillant de la stratification des polysémies qui s’y rattachent, le jeune artiste restitue au médium la dimension scatologique qui preside a son élaboration, ce que l’on est parfois tenté d’appeler la cuisine. Et Figarella d’affirmer : “La référence mimétique pour un peintre est beaucoup plus organique que visuelle”. Si le rouge d’un Rothko possède, à première vue, un impact purement chromatique lié à la teneur des divers pigments colorés qui le composent, l’oeil attentif se laisse vite absorber par la sensation rouge-matière du même Rothko et, à la manière d’un zoom, il effectue de vertigineuses mises au point séquentielles dans les diverses profondeurs de la couche picturale.

Lorsque les matériaux utilisés par Figarella nous ramènent à la corporalité, ce n’est point dans le but de jouer avec ambiguïté sur le binôme figuration-abstraction, mais bien pour souligner la vie même qui anime la peinture. L’objet qui n’est pas montré ici pour sa qualité d’objet, peut alors s’annoncer comme le révélateur d’un système vivant. De la peinture comme organisme

Cet aspect primaire de la peinture, Figarella le restitue avec bonheur, au cours d’une véritable anamnèse, avec tout un répertoire de matériaux qui s’avèrent aussi efficaces au niveau formel que sémantique. D’un point de vue purement plastique les médiums employés fonctionnent exactement comme la peinture si l’on considère qu’ils sont tous susceptibles de recevoir une empreinte la fameuse touche du peintre- et, qu’en outre, ils recèlent la trace du corps dans le réel. Ainsi les tableaux recouverts, entièrement ou en partie de chewing-gums machés, à la fois surprenante matière-couleur et sorte de denrée vidée de sa substance, relatent-ils l’activité machinale de la préparation de la peinture puisqu’ils sont eux-mêmes liés à l’activité machinale de la mastication. Mais le chewing-gum, de par sa texture et ses couleurs tendres, se pose aussi comme une prothèse de la chair. En cherchant des substituts de la peinture, Figarella s’est appliqué à trouver des matériaux qui ont à leur tour un statut d’ersatz : le chewing-gum apparait alors comme un succédané de nourriture, le sparadrap comme une métaphore homogénéisée de la peau et le film transparent comme une subtile membrane artificielle.

A y regarder de près l’on s’aperçoit que la peinture abstraite de Dominique Figarella procède d’un double retournement de situation en se plaçant à deux endroits à la fois, ici et là, où l’on n’a guère coutume de situer la peinture. En effet, d’une part, son travail parle de l’intériorité du médium pictural en parvenant, non sans humour, à susciter dans certaines oeuvres un sens de répulsion. C’est ce que l’on pourrait appeler le renversement de la table peinte, table qui, à la manière des bancs d’écoliers, offre le spectacle écoeurant de dizaines de chewing-gums agglutinés et collés en surface. Et d’autre part, ce travail se réfère à ce qui est extérieur à la peinture étant donné qu’il recourt aux instruments mêmes de protection du tableau : mousse de caoutchouc, plexiglas, matériaux voués habituellement au transport des oeuvres. Cet égard vis-à-vis de la peinture prend toute sa signification avec la métaphore que constitue le sparadrap. Avec une ironie qui n’est pas dénuée de tendresse Figarella s’emploie à panser les plaies d’une peinture blessée dont les virages colorés indiquent nettement la présence d’une pathologie interne : la peinture malade d’avoir trop promis.

Cependant le plexiglas ou le film transparent marquent aussi la volonté de situer la représentation au-delà de la surface. Car c’est bien de peinture qu’il s’agit et Figarella, qui a été l’assistant de Noël Dolla, sait qu’il est impératif de le signifier en distinguant le fond de la surface. Toutefois, doué d’une vision de la peinture d’une étonnante acuité, le jeune artiste semble vouloir aller au-delà des problématiques liées au rapport support-surface. C’est ainsi que le plexiglas peut déborder du cadre du support ou coller à la peinture en l’écrasant et que

‘épaisse matière picturale, baillonnée par les pansements, réussit à s’échapper en sortant des trous d’aération du pansement. Fort d’un vaste acquis culturel, Dominique Figarella entreprend l’intégration et la relecture de tout un héritage léqué par l’art contemporain -et, à ce titre, l’analogie avec le Nouveau Réalisme dans certains de ses travaux est symptomatique- qui, confronté à son vocabulaire ironique, aboutit à un système pictural autonome d’une singulière efficacité.

Catherine Macchi

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