27.06.97 – 5.10.97
Cosima von Bonin, Richard Fauguet, Markus Geiger, Pierre Joseph, Ingrid Luche
dans le cadre de La Côte d'Azur et la Modernité
Avec: Cosima von Bonin, Richard Fauguet, Markus Geiger, Pierre Joseph, Ingrid Luche
Commissariat : Michel Bourel, Axel Huber
Cosima Von Bonin
S’il est ardu de définir le travail de Cosima von Bonin en quelques lignes, cela tient surtout à ce qu’il n’y a pas vraiment dans la structure de son oeuvre d’unité formelle. Elle n’est pas exclusivement peintre, sculpteur ou photographe. La post-modernité a forgé le terme artiste multimédia par commodité, mais il ne saurait être pertinent ici, parce que le travail de Cosima von Bonin ne trouve pas tant sa motivation dans la forme qu’on en perçoit que dans les connexions biographiques, historiques qu’elle convoque et les mécanismes sociaux qu’elle met en branle. Sa réflexion est beaucoup plus axée sur l’imago de l’artiste, en tant que personnage de psychodrame, que sur une quelconque narration exotique. Et si Isabelle Graw, dans un texte intitulé Pourquoi a-t-elle réussi ? Le rêve bourgeois du château des nobles, qualifie les objets de Cosima von Bonin d’anti-discursifs, il faut entendre dans cet argument le désir de l’artiste, non pas de refuser la discussion, mais de la déplacer sur un terrain moins balisé, moins caractérisé.
Richard Fauguet
Richard Fauguet installe, entre autres choses, cet été, une piscine dans la galerie de la Villa. Pas une vraie piscine, mais un ersatz en adhésif Vénilia (matériau qu’il a déjà utilisé à plusieurs reprises auparavant), cerné d’un panorama de silhouettes des plus prestigieuses sculptures d’alentour, et de simulacres qui tous renvoient dos à dos les figures convenues de la vie sur la Côte d’Azur. On ne l’ignore plus : c’est sans doute la pratique du farniente qui, plus que la peinture, la sculpture ou la céramique, constitua longtemps l’activité de prédilection de l’artiste moderne en villégiature sur la Côte ; cette pratique est ici réifiée et magnifiée par l’installation de Richard Fauguet. On est en droit de supposer que le fait que l’artiste vive et travaille à Châteauroux le restant de l’année n’est pas sans porter sa part de responsabilités dans cette histoire.
Markus Geiger
S’il n’était pas si malpoli de coller des étiquettes aux gens, à Markus Geiger on aimerait coller l’étiquette du Suave. À l’instar de ces petits grains bleus qui se combinent désormais sans friction à nos lessives modernes, Markus Geiger semble travailler principalement à rendre plus souple. Plus souple quoi ? Un peu tout. Sans doute plus particulièrement ce qui ressortit aux rapports humains. La sourde présence du feutre ; un goût prononcé pour les tapis et moquettes de toutes sortes ; les parfums que Markus Geiger fabrique lui-même, et qui, jusqu’à l’entêtement, imposent leur présence toute sculpturale au spectateur, et surtout l’éponge (Frottee en allemand) dont il a fait son matériau de prédilection, tout ça produit l’écrin d’une sorte de dandysme moelleux qui fraye avec les périphéries : de la mode à la cosmétologie en passant par le design. Pour la Villa Arson, Markus Geiger a produit un immense revêtement de sol qui traverse la galerie des Cyprès, et sur lequel on retrouve l’image anamorphosée d’un homme vêtu d’un costume en éponge. On parcourra ce tapis la tête haute, d’une démarche souple, et sans arrogance.
Pierre Joseph
Dans un repli de l’espace d’exposition, Pierre Joseph a installé une cabine de trucages vidéo et son corollaire, le fond bleu. Ce qui semble, au premier abord, n’être qu’une révérence maximaliste au moderne Yves Klein, apparaît très vite comme un protocole autrement plus compromettant pour le spectateur qui, par le truchement de l’image vidéo, se retrouve immergé dans le noir électronique du plan fixe d’un film de science-fiction. Pierre Joseph s’est fait connaître, auparavant, avec les Personnages à Réactiver. Ces sculptures au statut insaisissable, déroutantes de par la connivence biologique et donc la gêne, qu’elles ne manquent pas d’installer à l’endroit du spectateur, trouvent dans l’installation de cet été une continuation délicieuse. La modernité n’a jamais cherché à ménager ni la susceptibilité, ni la passivité du spectateur, et s’est attachée à l’inscrire aussi souvent que possible au générique de ses réalisations. Pierre Joseph propose en plus de lui laisser le choix des répliques.
Ingrid Luche
Les murs qu’Ingrid Luche investit sont couverts de dates, de noms sans hiérarchie, de liens de toutes sortes et de soulignements en tous genres. Comme au festival de Cannes, on reconnaît aisément de nombreuses vedettes, on en suit les pistes, et quelquefois on perd pied. Nietzsche côtoie Kennedy, Kafka et Danielle Darrieux. Les informations biographiques qu’elle utilise comme matériau de base n’acquièrent du sens que parce qu’Ingrid Luche et le hasard travaillent à établir des rapports entre des événements qui a priori n’en ont aucun. Au premier degré, s’impose évidemment la beauté paranoïaque de l’Ordre, caché sous les choses ; d’une Vérité, à laquelle on n’accède que par palier, et du filet serré de ces croyances, avec quoi Ingrid Luche s’amuse sournoisement. Elle semble édicter des règles (de comportement) auxquelles il sera impossible, dans l’état actuel de nos connaissances sur la réalité, de se conformer (ex: naître à Naples en 1830 et se voir baptisé du prénom de la reine). Elle sème des indices, par exemple sous forme d’objets en céramique, qui laissent à penser que si c’est vraiment d’un jeu dont il s’agit, certaines combinaisons sont gagnantes et d’autres pas. Parfois, on croit avoir tout compris. Invariablement, on se met le doigt dans l’oeil. Souvent, le doigt est à quelqu’un d’autre.