15.02.91 – 31.03.91
Bernard Piffaretti
Tableaux 1982-1990
Commissariat : Christian Bernard
Qu’un centre national d’art contemporain décentralisé, une galerie municipale allemande récemment ouverte, un centre d’art parisien engagé dans un nouveau cours ainsi qu’un grand musée de province s’associent aujourd’hui pour exposer un jeune artiste français, constitue en soi un événement notable. Et que ce soit pour montrer largement l’œuvre d’un peintre aussi singulièrement contemporain que l’est Bernard Piffaretti, n’est peut-être pas tout à fait un hasard. C’est en tout cas un signe assez encourageant pour les institutions de l’art et, nous l’espérons, pour l’art lui-même.
Les toiles de Bernard Piffaretti ont une forte et froide présence. La gamme des couleurs est austère : des noirs, des ocres et marrons, des jaunes, des rouges, quelques outremers. Les couleurs utilisées sont des laques du commerce, sans valeur esthétique. Il n’y a pas de mélanges. Elles sont passées liquides.
L’ensemble a une tonalité sourde. La décision du peintre est évidente. Le coup de brosse fait ligne ; les lignes se ramassent pour donner des plages pleines ou hachées de couleur. L’austérité des peintures est lancinante. Bernard Piffaretti peint d’une manière volontairement banale : il invente un système de contraintes transformant un premier motif en prétexte de la toile tout entière. Le peintre peint la moitié droite du tableau comme si elle devait constituer une œuvre finie. Si l’on coupait une peinture de Piffaretti par le milieu, on obtiendrait un bon tableau post-moderne. La plupart s’en contentent. Lui n’est qu’à mi-chemin. Il utilise cette partie droite comme modèle et la copie en regard. La frontière entre le modèle et son double – mais quel est l’un et quel est l’autre ? – est une zone d’indifférence. La peinture résulte ainsi d’une addition, en fait d’une répétition et d’un report. Le redoublement engendre une entité où nulle symétrie n’apparaît. L’unité terminale métamorphose les constituants ; la démarche n’est pas lisible ; les pistes sont brouillées. La peinture est coupée de tout sujet et de toute origine, que ce soit du côté de la réalité ou dans la subjectivité du peintre. Il n’y a rien à reconnaître, même lorsqu’on croit voir des clous, une grille ou des flèches. Ces démarches sont aussi réfléchies que décidées ; elles visent l’invention d’une peinture autonome, où l’auto-référence soit à son comble, mais immédiate et sans démonstration. C’est pourquoi il n’y a pas de série. Même si la manière de procéder reste la même, chaque toile est singulière.
Seule la stratégie générale est prédéterminée : les gestes sont d’autant plus libres et spontanés qu’ils opèrent sous la garantie d’une expression différée. On ne peut pas ne pas être frappé à cet égard par leur ampleur et leur vivacité : le peintre va droit aux formes sans hésitation ni repentir. Une telle démarche manifeste une force d’affirmation complète sans exprimer de volonté subjective. Il ne s’agit ni de détruire un ordre, ni d’affirmer un moi. Pour Piffaretti, la peinture n’est pas l’aboutissement d’une déconstruction et on ne la ressuscite pas par l’injection de thèmes nouveaux. La vérité en peinture n’existe pas et la mythologie, personnelle ou pas, est une facilité.
Yves Michaud