12.05.94 – 5.06.94
Béatrice Cussol
Béatrice Cussol
Commissariat : Christian Bernard
Diplômée à l’E.P.I.A.R. en 1993, Béatrice Cussol appartient à une nouvelle génération d’artistes qui se proposent de réexplorer les possibilités du dessin et d’en faire une discipline à part entière. À la manière de ceux de Jean-Luc Blanc, Karen Kilimnik, Douglas Kolk et quelques autres, les dessins de Béatrice Cussol opèrent une forme de narration qui marque le retour au privé de l’artiste.
Dans la galerie de l’École, Béatrice Cussol présente 12 dessins inédits où, pour la première fois, elle affronte le grand format (150 x 200 cm). Sources fictionnelles et autobiographiques se mêlent avec complexité dans ces scènes de rêves et de pensées intimes figurées selon le mode du désapprentissage du dessin. La régression volontaire vers un graphisme qui présente d’évidentes analogies avec le dessin d’enfant et l’art brut en général, révèle une technique très maîtrisée où se côtoient les styles les plus différents.
Ceux qui avaient eu l’occasion de visiter Les passants du phalanstère, dans les locaux pédagogiques de la Villa Arson, l’été dernier, seront coutumiers de la crudité de cette proposition graphique. La jeune artiste y exposait, en effet, une série de dessins aux couleurs très vives, réalisés au feutre, qui déployaient un imaginaire sexuel féminin très libre venant contrebalancer, en quelque sorte, des univers comme ceux de Basquiat ou de Di Rosa. Le visiteur pouvait aussi y découvrir deux installations qui développaient dans un subtil mélange de violence et d’ironie l’esthétique trash. Mousseline, un épouvantable recoin poisseux fait à partir de débris de chantier et d’une bâche en plastique dont on n’aurait pas fait la couche d’un chien, évoquait l’infortune d’un sans abri. Dans un coin, un quignon de pain rassis traînant dans les cendres parachevaient ce sarcastique tableau. On voyait bien comment l’espace du dessin ne se réduisait pas à son propre support – le papier – mais fonctionnait tel un lieu, selon les mêmes modalités que les installations et puisait ses références aussi bien dans le récit social que dans le récit onirique.
Cette exposition personnelle nous montre que dans le grand format, le graphisme de Béatrice Cussol tend à se simplifier. La couleur se transforme en aplats et les grandes réserves de blanc aménagées entre les figures donnent une plus large respiration au dessin.
Réalisées au feutre gouache, ces compositions aux couleurs plus simples où se juxtaposent des éléments parfois incongrus, procèdent en quelque sorte de l’écriture automatique tout en rejouant une imagerie entre l’illustration et la bande dessinée. Comme Christine Angot le fait dans ses romans, Béatrice Cussol nourrit ses images du fantasme et elle s’efforce d’éviter toute censure. Souvenirs et images mentales personnels ou appropriés sont convoqués au travers d’un véritable effort de mémoire et de concentration. Chaque dessin raconte ainsi une histoire discontinue et polysémique dans laquelle la dessinatrice laisse un espace important – y compris au sens physique – à la divagation de la pensée du regardeur. Il résulte de ce rapport au dérangeant une curieuse et belle sérénité qui donne aux personnages flottants de ces dessins, amputés divers, monstres de la nature, séviciés heureux, aristocrates violeurs et autres femmes-araignées un air familier et souvent béat, exempt de toute frustration et empreint d’humour, aux antipodes des angoisses surréalisantes.
Catherine Macchi