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21.10.94 – 18.12.94

Alexandre Périgot

On Tour

Commissariat : Christian Bernard

C’est par et dans le réel que je suis soucieux d’œuvrer. Mon activité plastique s’attache à définir les rapports que le corps peut entretenir avec l’espace. C’est pourquoi, à travers des attitudes du quotidien que je décale légèrement, j’essaie de confronter le corps à des situations inhabituelles afin de réévaluer les conditions de sa présence au monde. J’essaie toujours d’opter pour une attitude ironique dans le sens où je fais basculer les images de ce quotidien dans un espace critique qui se situe entre dérision et gravité.

Double double est un travail créé expressément pour la Villa Arson qui propose, d’une part, une série de photographies et, d’autre part, une installation.

Les photographies sont en fait sept portraits de doubleurs de cinéma et de télévision. Le chiffre sept peut, par exemple, renvoyer au jeu des sept familles. Les doubleurs ont été photographiés dans leur environnement privé. J’ai demandé à chacun d’eux de prendre l’attitude que lui inspirait l’acteur / le personnage le plus connu auquel il prêtait sa voix. Il s’agissait de rejouer la question de l’identité. Ces images révèlent les corps dont nous ne connaissions que la voix. On peut en délimiter les phases : leurre, identification et représentation. Ce qui m’intéressait aussi était de réinvestir le corps comme sculpture. En outre, le titre Double double a un rapport avec la notion de vitesse, les différents portraits étant alignés comme un arrêt sur image.

L’installation est constituée d’un alignement de tables posées sur des tréteaux. Sur cette ligne se déroule une bande de papier carbone. Ce travail en miroir des portraits nous invite à rééprouver les mécanismes et les effets du pas et de la marche. J’avais déjà utilisé le carbone pour une pièce intitulée Recto verso et présentée à la Villa Arson en 1993 dans le cadre d’une résidence d’artiste. Il s’agissait d’occulter le sol d’un espace par des papiers carbone, la face tournée contre le sol, sur lesquels j’invitais le regardeur à marcher. Une fois de plus l’intention peut s’exprimer ainsi : est-ce mon pas qui imprime le sol ou bien est-ce le sol qui imprime mon pas ? Ici le papier carbone est présenté dans la situation inverse, la face imprimante vers le haut. Cela signifie que si l’on se hasarde à parcourir cette ligne le corps en sera imprimé. Au-delà du parcours hypothétique sur les tables, l’on peut appréhender ces établis provenant de l’école en tant que tels et supposer y travailler avec ses mains. Ce qui m’intéresse est d’essayer de démonter des systèmes donnés. Le carbone est en effet un matériau, aussi archaïque soit-il à l’heure de la photocopie laser, qui implique la reproductibilité. Or ce que l’on observe dans les écoles d’art et au-delà dans la sphère artistique est bien la reproduction de schémas préexistants. L’idée de positif/négatif nous amène cependant à la réflexion de Didi-Huberman : mettons que l’on ait une paire de gants et que l’on retourne celui de la main droite, l’on obtient deux gants de la main gauche*.

Toujours dans cette tentative de neutralisation des certitudes, j’ai le projet de planter un chapiteau de cirque dans le parc de la Villa Arson d’ici cet été et de le faire voyager dans diverses institutions artistiques. On the tour, en tant qu’espace vide et clos, sera à la fois le lieu et l’objet d’une hypothétique représentation. J’entends dans ce projet, au-delà de toute négation du système de diffusion de l’art, allégoriser la dimension spectaculaire de l’œuvre.

Alexandre Perigot propos recueillis par Catherine Macchi

* Georges Didi-Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris, Minuit, 1992.

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