Le Temps du vivant – Matthieu Duperrex
Le temps du vivant – Explorer le paysage-sentinelle
On peut qualifier de “paysage sentinelle” un nouveau type de paysage, caractéristique de l’Anthropocène, une époque géologique qui ne désigne pas seulement un accaparement délétère du sol vivant par les humains, mais aussi un double entrelacement de l’humain et du non-humain, avec d’un côté des processus naturels (biomes) traversés de social et de l’autre côté, des sociétés (anthromes) traversées de nature. Au-delà des mutations induites dans la manière de penser nos relations à l’environnement, de traduire ces dernières au moyens de nouveaux concepts scientifiques, l’Anthropocène appelle aussi une nouvelle donne esthétique. La notion de paysage sentinelle vise à répondre à cet appel en incarnant le second terme de la définition de l’Anthropocène, à savoir cet entrelacement devenu inextricable du géologique et de l’historique, du non-humain et de l’humain. Si l’Anthropocène produit de l’inhabitable ou de l’invivable pour un fort contingent des espèces liées à l’écologie antérieure d’un territoire, explorer un paysage sentinelle, élire certains paysages comme étant nos sentinelles, nous permet toutefois de mieux devenir avec le vivant, selon l’expression de Donna Haraway, de mieux composer avec ceux qui parmi nous sont liés – pour le meilleur et pour le pire – à cette terre, à ce sol, notre commun.
Biographie
Matthieu Duperrex est maître de conférence en sciences humaines à l’École nationale supérieure d’architecture de Marseille. Il est l’auteur d’une thèse en arts plastiques consacrée aux relations de l’art contemporain et de l’Anthropocène : Arcadies altérées (2018). Artiste et théoricien directeur artistique du collectif Urbain, trop urbain (www.urbain-trop-urbain.fr), ses travaux procèdent d’enquêtes de terrain sur des milieux anthropisés et croisent littérature, sciences-humaines et arts visuels. Dans Voyages en sol incertain. Enquête dans les deltas du Rhône et du Mississippi (Wildproject 2019), il expérimente une narration littéraire qui va à la rencontre des humanités écologiques et des sciences naturelles. Bruno Latour écrit à son propos qu’avec « ses bouleversantes études de fleuves, Duperrex parvient à faire de la sédimentation à la fois une science des sols, et une philosophie de la nature extraordinairement labile et silencieuse. » Avec son dernier ouvrage, La rivière et le bulldozer (Premier Parallèle 2022), Matthieu Duperrex prolonge son enquête sur la « minéralité » de la Modernité, rappelant que la notion d’Anthropocène désigne avant tout l’essence géologique de l’être humain. Il montre ainsi comment l’extractivisme de la société capitaliste occidentale n’est qu’une des voies de matérialisation de cette essence parmi bien d’autres façons possibles de lier les sédiments à l’histoire de l’humanité.
Partenaires
Réalisé dans le cadre du projet Prospettive/Perpsectives, Programme Interreg Alcotra 2014-2020